« L’image est le dernier rempart contre le temps », affirme le cinéaste Saeed Al Batal au début de son film Still Recording. S’adressant à ses comparses à qui il donne une formation en cinéma, il ajoute : « Quoi qu’il se passe, où que ce soit, si vous filmez… cette image deviendra un document dans une cinquantaine d’années. Sachez pourquoi vous tenez une caméra entre les mains. Une fois que vous le saurez, le reste suivra naturellement. »
Dans un contexte de guerre, le cinéma retrouve rapidement son ontologie première : la capacité d’enregistrer mécaniquement le réel, de créer une trace pour ce qui a jadis existé. Filmer pour encapsuler, documenter, témoigner, avoir une prise sur le réel. Dans une telle situation, faire du cinéma devient acte de survie; une façon de faire œuvre utile, pour ne jamais oublier...
Cette semaine, Tënk accueille une programmation réfléchie par Justine Pignato, doctoteure en communications qui s’est penchée sur la production documentaire syrienne récente, dans ce pays marquée par la guerre.
Depuis le début de la révolution syrienne en 2011, une nouvelle génération de cinéastes est née, transformant le documentaire en outil de résistance. Dans un contexte d’extrême danger, où filmer pouvait mener à la prison ou à la mort, ils ont inventé de nouvelles façons de créer et de s'entraider.
« Cette escale cinématographique revient sur trois documentaires, trois expériences de la Syrie entre 2011 et 2023, capturées par de jeunes cinéastes dont la plupart ont commencé à filmer dès le début de la révolution. Trois regards, à la fois affirmés et délicats, où se dessinait déjà l’espoir d’un autre rapport des Syrien·ne·s à leur pays. » écrit notre programmatrice invitée dans son texte de présentation. Bonne exploration!
Pendant cinq ans, au cœur de la guerre civile syrienne, un groupe de jeunes cinéastes filme la vie quotidienne et les combats dans la ville de Douma, en Ghouta orientale, une banlieue assiégée de Damas. Still Recording est un film d’urgence, réalisé avec les moyens du bord, pour témoigner de ce conflit vécu de l’intérieur. La caméra y devient arme et refuge : sept cadreurs risquant leur vie chaque jour, documentant l’attente, les tirs, les morts, mais surtout leur engagement politique et leur force vitale. Still Recording est un film de survie, d’espoir et de mémoire, où filmer devient synonyme de rester vivant.
Le réalisateur Omar Malas s’est interrogé sur ses répercussions de la pandémie de coronavirus pour les Syrien·ne·s, après des années de guerre. Damascus is Breathing naît de sa participation à une initiative citoyenne durant la première vague de COVID-19. Ce qui débutait comme un projet photographique s’est progressivement mué en film, capturant un moment de solidarité et de résilience dans un pays exsangue. Sobre et puissant, le film témoigne de la capacité des citoyen·ne·s à se mobiliser pour pallier l’absence de l’État et transforme la pandémie en une étrange accalmie en cette période de guerre, où soin et humanité se conjuguent face à la catastrophe.
Qui dit contexte de guerre, dit nécessairement exil. Dans Chasing the Dazzling Light, troisième volet d’une trilogie introspective, Yaser Kassab poursuit depuis l'Europe son dialogue à distance avec son père resté en Syrie. La Suède, avec ses paysages hivernaux et mélancoliques, devient le décor d’une réflexion sur l’absence, la nostalgie et la transmission. Entre contrainte administrative et solitude due à l’éloignement, le film explore avec poésie la persévérance, l’amour filial et le poids des rêves inachevés, tandis que le cinéma lui-même devient le lien qui unit un père et son fils malgré les frontières.