Fractures américaines

Fractures américaines

 

 

ll avait promis de rendre sa grandeur à l’Amérique. Après quatre ans au pouvoir, Donald Trump se retrouve surtout devant à un pays meurtri et toujours plus fracturé qu’avant. Il est aussi placé désormais face à des électeurs qui pourraient bien, avec une participation électorale que l’on annonce historique, faire basculer son destin et appeler avec force à placer celui des États-Unis sur une autre voie. L’enjeu est de taille, mais la route reste cahoteuse dans un pays qui ne cesse de révéler ses nombreuses divisions, que le discours ambiant résume à une simple polarisation.

Mais le paysage politique et social est beaucoup plus complexe, avec son racisme systémique que la mort sordide de George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis en août dernier, a rendu évident, et qui traverse avec rage Whose Streets ? de Sabaah Folayan et Damon Davis. En 2017, ils ont exposé l’horreur de cette discrimination légitimée en autopsiant les émeutes de Ferguson qui ont suivi l’assassinat de Michael Brown, 18 ans, en 2014. Un mot incarne ce point de tension, celui qui commence par la lettre « n » et que rappelle Je ne suis pas votre nègre, une oeuvre aux accents étrangement poétiques qui permet de remonter le fil historique d’une ségrégation solidement ancrée dans une société pour profiter à sa part la plus blanche. « They said if you white, you's alright / If you is brown, stick around / But if you's black, oh brother / Get back, get back, get back... » chantait Big Bill Broonzy dans les années 30, avant un mouvement d’émancipation qui semble toujours plus près de son commencement que de sa fin. La peur pave certainement le chemin vers cette impasse. Cette peur que Broken Land, de Stéphanie Barbey et Luc Peter, fait apparaître à la frontière des États-Unis avec le Mexique, près d’un mur qui, en empêchant de voir l’autre, d’entrer en contact avec lui, finit par plonger l’humanité qui réside tout autour dans l’angoisse et la paranoïa. À moins d’en prendre conscience pour déjouer ces sentiments que les politiciens aiment désormais manipuler, à dessein. Il suffit de se frotter à The Brink pour s’en convaincre et de suivre, dans son quotidien de consultant international, Steve Bannon, un ex-conseiller de Donald Trump, qui lui a donné en partie le carburant pour son improbable ascension : l’indignation, cultivée jusqu’à l’obsession, pour transformer la colère en vote. Y compris en usant de mensonges. La recette a tellement bien marché, que l’homme est devenu le mentor de plusieurs autres populistes à travers le monde, avides de manipuler eux aussi ce cocktail explosif de division, de rancoeur et de confrontation constante pour atteindre leur sommet. L’arme est redoutable. Elle peut aussi être fatale pour ceux qui refusent de la prendre un peu plus au sérieux, comme l’ont démontré les élections présidentielles de 2016 qui, selon les sondages de l’époque, devaient accorder la victoire à Hillary Clinton. Par les yeux d’une jeune militante démocrate, le réalisateur Helgi Piccinin avait prévu raconter l’arrivée à la Maison-Blanche de la première femme à titre de présidente. Mais, avec Crédule incrédule, c’est finalement une autre histoire qu’il a été obligé de raconter.

Reste à voir désormais laquelle les Américains, en allant aux urnes le 3 novembre, vont décider d’écrire?


Fabien Deglise
Journaliste au Devoir

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