Les films de Harun Farocki

L’œuvre d’Harun Farocki, réalisateur et théoricien du cinéma allemand, incontournable du cinéma militant, documentaire et expérimental, est cette semaine mise à l’honneur sur Tënk.

Associé au développement d’une rhétorique de l'image, le travail du cinéaste invite à s’émanciper de la signification, du discours et de l’usage dominant qu’on leur attribue. Harun Farocki démontre au moyen d’une narration écrite ou orale superposée au montage d’extraits d’archives, que toute image dessert à l’origine une ou des visées spécifiques, qui servent un pouvoir, voire une idéologie. Ses films dénouent et décryptent les procédés qui sous-tendent la fabrication et le traitement des images afin d’en dégager de nouveaux possibles, tant en termes de signification que de fonction. Une image met en abime sa démarche puisqu’on y découvre les coulisses liées à la fabrication d’une image commerciale pour le magazine Playboy. Pour rendre lisibles ces dispositifs implicites, le cinéaste se joue de l’horizon d’attente puisqu’il refuse le type de montage et de narration auxquels les spectateur.trice.s sont habituellement confronté.e.s. Il laisse notamment place au silence plutôt qu’à l’attendue voix off pour traiter d’un sujet historique dans En sursis, film dans lequel le cinéaste exhume les rushes d’un film inachevé tourné dans le camp de Westerbork. À partir d’archives de films documentaires et fictionnels, il dévoile et met en relation les motifs communs qu’il détecte dans la représentation cinématographique de travailleur.euse.s d’usine dans La sortie des usines. 

Par une approche anti-pédagogique, le cinéaste ne cherche pas à apposer un sens fixe et unique aux images qu’il livre, il nous amène à les considérer pour que l’on s’interroge à notre tour à propos de leur fonction, de leur signification, et des potentiels détournements que l’on pourrait leur projeter. Il ne s’agit pas uniquement d’assimiler un savoir qui découlerait du seul contenu du film mais d’acquérir une forme de méta-connaissance qui outillerait et permettrait de s’affranchir de l’ « armure » qui cimente les images. En ce sens, les films d’Harun Farocki peuvent s’aborder en tant que praxis sociopolitique, en ce qu’ils expriment la façon dont nos sociétés fonctionnent, notamment par une mise en lumière du système de signes qui régit les images.