Memento mori

Memento mori

Si la mort a suscité la production d’images dès le Paléolithique (Pigeaud, 2017), le cinéma a exacerbé cette pratique en produisant et convoquant de nouvelles images et pratiques. Dès son apparition, la mort cessera d’être un absolu, « la victoire du temps » selon Bazin, car tout un chacun pourra « photographier les êtres qui leur sont chers non plus dans leur forme immobile mais dans leur mouvement, dans leur action, dans leurs gestes familiers, avec la parole au bout des lèvres » (cité par Banda et Moure, 2008, p. 41). 

 

 

Le cinéma, et plus précisément le cinéma documentaire, par diverses mises en scène, contribue en effet à réunir les morts d’hier et les vivants d’aujourd’hui. Il relie un présent aux prises avec un passé qui déjà appelle un avenir et soulève de nombreuses interrogations : comment filmer et défier l’indicible de la mort? Comment à partir d’une expérience des sens (le cinéma) faire advenir un sens à des expériences traumatiques? Comment inscrire et rendre sensible la mort de l’autre? Comment rendre compte par des images et des sons de l’absence de l’être disparu ou de l’être à venir dans le cas de deuils périnataux?

À partir d’expériences singulières, sensibles et intimes, les films qui composent cette escale n’abordent pas la mort humaine ni le deuil de manière directe et monstrative. Ils opèrent par fragments, par allusions, par « exercices » pour reprendre le titre de Pazienza et empruntent des voies obliques, photographiques, des tangentes pour évoquer la ou le défunt. Plusieurs lignes directrices traversent ces films documentaires.

Ils se caractérisent par une dimension processuelle mémorielle et relationnelle où les auteurs au travers de diverses traces laissées (objets, images, etc.) ou créées (photographies, témoignage audiovisuel) s’interrogent sur l’identité de la personne défunte et cherchent à lui offrir un lieu au sein d’une famille (Exercices de disparition, Filme-moi !), d’une société (CHSLD) ou d’une culture (Mizuko). Ce faisant, ces cinéastes réfléchissent par l’image à leur propre disparition et n’hésitent pas à se filmer ou encore à mettre en scène leurs propres funérailles (Filme-moi !). À l’effacement de la mémoire, le cinéma documentaire répond par la création d’images fixes ou animées étroitement reliées au défunt et à l’adresse des vivants, notamment les familles qui, dans certains cas, n’ont pas pu accompagner leurs proches en raison de la pandémie. Ces films semblent avoir une double fonction : conjurer ce qui s’efface progressivement chez les vivants et officier à la fois comme tombeau et mémorial qu’il s’agisse d’êtres humains ou d’animaux (Nous la mangerons, c’est la moindre des choses) .

 

Mouloud Boukala
Professeur à l’École des médias, UQAM
Co-directeur de la revue Frontières

 

Frontières est une revue québécoise de recherche et de mobilisation des connaissances interdisciplinaires en études sur la mort. Depuis 1988, elle publie des numéros thématiques qui sensibilisent les milieux académiques et de pratiques ainsi que le grand public aux enjeux thanatologiques contemporains. Au fil des ans, la revue a abordé des thématiques originales qui présentent de nombreux points de convergence avec les films qui composent cette escale. La revue a ainsi traité des trajectoires du mourir et du deuil (2020), des figures de la disparition (2015-2016), de la résilience et du deuil (2009-2010) ou encore de l'humour et la mort (2018).

 

Références

PIGEAUD, R. (2017). « L’homme préhistorique et la mort », Comptes Rendus Palevol, vol. 16, no 2, p. 167-174.

BANDA, D. et J. MOURE (2008). Le cinéma : naissance d’un art. Premiers écrits (1895-1920), Paris, Flammarion.

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