Portrait d'un village de pêcheurs déserté du nord de la Norvège tourné sur pellicule grand format avec une technique d'« animation de la nature » spécialement mise au point. En un seul plan continu, nous « survolons » les vestiges d'une route intérieure du village, tandis qu'une année entière s'écoule à une vitesse 50 000 fois supérieure à la normale. La majeure partie de l'année, le village de Børfjord reste vide, avec de la neige immaculée entre les maisons froides. Les gens n'y viennent que pendant la courte saison estivale, très animée. Mais les cycles de la nature se poursuivent, inchangés.
Réalisateur | Morten Skallerud |
Acteur | Jason Todd |
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Quelle humilité!
Quelle humilité devant cette entreprise colossale!
Quelle humilité devant ces mouvements d’astres, ces trainées d’aurores boréales, ces montagnes et ces cailloux étalés au détour de cette route abandonnée de la plus au Sud des îles du plus haut Nord de la Norvège…
« Aucun signe de présence humaine; j'ai été la première personne à faire des traces dans la neige. Il y avait de plus en plus de maisons abandonnées, et cette nature grandiose autour de moi. Cela m'a procuré un sentiment très fort en plein ventre. C'est ce sentiment jadis ressenti que j’ai voulu recréer dans le film. »
Voilà comment le cinéaste Morten Skallerud raconte sa découverte du village de pêcheur abandonné de Børfjord au début de l’année 1980. Dix années d’allers-retours plus tard, soit 180 jours entiers de travail, et nous voilà avec ce mythique court métrage de 12 minutes qu’est Une année le long de la route abandonnée.
Un peu plus de faits, car cela frappe l’imaginaire! Au fondement, la mise au point par Skallerud et son équipe d’une technique de cinéma inédite, l'« animation de la nature », au croisement du stop motion, du time-lapse et d’un mouvement de caméra d’arpenteur-géomètre vers l’avant. C’est ce dernier aspect dont l’accomplissement technique est le plus impressionnant, faisant appel à un ordinateur alimenté à même le chariot mobile transportant la caméra, et ce, grâce à un circuit de fils d’alimentation et d’une génératrice, modélisant l’exacte trajectoire de l’image pour rendre son mouvement « invisible ». Doit-on rappeler que nous sommes dans les années 1980 au beau milieu d’un village abandonné… Voici pour l’aspect technique.
Pour le reste, imaginez cette petite procession de cinéastes sur leur chemin de Damas, avançant soigneusement leur wagon de quelques décimètres entre chaque image, réalisant une boucle longue de… 2,5 kilomètres! Une telle patience pour rabouter tous ces morceaux sur dix ans de travail… Dix années de travail pour douze minutes de film! À ce point de désir de cinéma à même la pellicule… Stupéfiant!
Considérations supplémentaires en guise de conclusion : Skallerud rend dorénavant son film accessible sur les plateformes en ligne, mais il est primordial de souligner qu’il a été spécifiquement conçu pour les salles de cinéma. Et pas n’importe lesquelles. En effet, et cela rend la chose encore plus grandiose, le film a été tourné en Panavision — un format panoramique coûteux historiquement associé à des films épiques (Ben-Hur, par exemple). On perd donc assurément de l’effet d’immersion des gigantesques écrans de cinéma incurvés lorsque la caméra accélère dans les courbes — et le détail de l’image sur pellicule, qui doit rendre encore plus prégnant l’effet de fourmillement humain et de présence tactile du paysage… Comme un calque de nos fourmillements intérieurs.
Mince consolation : il est maintenant possible de faire des arrêts sur image et d’admirer les détails de chaque cadre. De véritables oeuvres d’art, particulièrement lorsque s’arrêtent pour poser devant la caméra les rares humains de l'année — les descendants et descendantes des pêcheurs qui reviennent en vacance visiter le village de leurs ancêtres.
Comme l'écrit quelque part Borges : sur un visage s'inscrit le monde...
Emmanuel Bernier
Responsable des acquisitions chez Tënk
et drôle d'oiseau
Quelle humilité!
Quelle humilité devant cette entreprise colossale!
Quelle humilité devant ces mouvements d’astres, ces trainées d’aurores boréales, ces montagnes et ces cailloux étalés au détour de cette route abandonnée de la plus au Sud des îles du plus haut Nord de la Norvège…
« Aucun signe de présence humaine; j'ai été la première personne à faire des traces dans la neige. Il y avait de plus en plus de maisons abandonnées, et cette nature grandiose autour de moi. Cela m'a procuré un sentiment très fort en plein ventre. C'est ce sentiment jadis ressenti que j’ai voulu recréer dans le film. »
Voilà comment le cinéaste Morten Skallerud raconte sa découverte du village de pêcheur abandonné de Børfjord au début de l’année 1980. Dix années d’allers-retours plus tard, soit 180 jours entiers de travail, et nous voilà avec ce mythique court métrage de 12 minutes qu’est Une année le long de la route abandonnée.
Un peu plus de faits, car cela frappe l’imaginaire! Au fondement, la mise au point par Skallerud et son équipe d’une technique de cinéma inédite, l'« animation de la nature », au croisement du stop motion, du time-lapse et d’un mouvement de caméra d’arpenteur-géomètre vers l’avant. C’est ce dernier aspect dont l’accomplissement technique est le plus impressionnant, faisant appel à un ordinateur alimenté à même le chariot mobile transportant la caméra, et ce, grâce à un circuit de fils d’alimentation et d’une génératrice, modélisant l’exacte trajectoire de l’image pour rendre son mouvement « invisible ». Doit-on rappeler que nous sommes dans les années 1980 au beau milieu d’un village abandonné… Voici pour l’aspect technique.
Pour le reste, imaginez cette petite procession de cinéastes sur leur chemin de Damas, avançant soigneusement leur wagon de quelques décimètres entre chaque image, réalisant une boucle longue de… 2,5 kilomètres! Une telle patience pour rabouter tous ces morceaux sur dix ans de travail… Dix années de travail pour douze minutes de film! À ce point de désir de cinéma à même la pellicule… Stupéfiant!
Considérations supplémentaires en guise de conclusion : Skallerud rend dorénavant son film accessible sur les plateformes en ligne, mais il est primordial de souligner qu’il a été spécifiquement conçu pour les salles de cinéma. Et pas n’importe lesquelles. En effet, et cela rend la chose encore plus grandiose, le film a été tourné en Panavision — un format panoramique coûteux historiquement associé à des films épiques (Ben-Hur, par exemple). On perd donc assurément de l’effet d’immersion des gigantesques écrans de cinéma incurvés lorsque la caméra accélère dans les courbes — et le détail de l’image sur pellicule, qui doit rendre encore plus prégnant l’effet de fourmillement humain et de présence tactile du paysage… Comme un calque de nos fourmillements intérieurs.
Mince consolation : il est maintenant possible de faire des arrêts sur image et d’admirer les détails de chaque cadre. De véritables oeuvres d’art, particulièrement lorsque s’arrêtent pour poser devant la caméra les rares humains de l'année — les descendants et descendantes des pêcheurs qui reviennent en vacance visiter le village de leurs ancêtres.
Comme l'écrit quelque part Borges : sur un visage s'inscrit le monde...
Emmanuel Bernier
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