Cadrer le monde

Cadrer le monde

Une escale tout entière tournée vers la photographie. L’image fixe, plus petite décomposition du cinéma, mais comportant son « génie propre », bien distinct de l’art du mouvement. Parfois matière première du documentaire, objet de fascination, témoignage d’un « ça a été » ou fausse piste pour duper les crédules, la photographie fait fréquemment des apparitions dans le cinéma documentaire. Cinq films pour se donner le temps de voir, arrêts sur image bienvenus dans un monde où le flot incessant brouille les yeux et handicape le regard.

PHOTOGRAPHES AU TRAVAIL Lorsque le grand photographe tchèque Josef Koudelka cadre, ce sont des petits pas, d’un côté, de l’autre, puis encore de l’autre. Dans Koudelka: Shooting Holy Land, son assistant Gilad Baram le filme sur les terres de Palestine, à la recherche de nouvelles images, mais aussi d’images à refaire. Il le filme qui attend et tâtonne, pas d’un côté, pas de l’autre, au milieu des bétons, des barrières et des barbelés, pour fixer sur ses larges pellicules une obsession : ce que c’est qu’un mur.

Le monde de Luigi Ghirri est un film qui approche le travail du photographe italien d’une manière affective, en tentant de rejoindre ce que pouvait être son regard : quelque chose de kodachrome, attentif aux formes, un peu pastel parfois, donc avec de la joie et un peu de mélancolie. Gianni Celati, célèbre écrivain italien, réalise un film sur son ami photographe, et va de rencontre en rencontre pour faire un portrait : le portrait parlé d’un regard.

Si une photographie peut révolutionner le monde, si une image peut être un tremblement de terre géopolitique, si un cliché peut transformer celui qui le regarde, l’ordre de l’affect peut également être inversé. L’acte de photographier peut sauver une vie. En pénétrant dans le royaume de Anne J. Gibson, une femme au passé trouble, marquée par divers abus et une rupture familiale, on accède à la puissance de transformation et de rédemption permise par l’art. Femme débordante de sensibilité, d’instinct et d’une curiosité bienveillante, Anne J. Gibson parvient à canaliser son besoin d’intensité en se frottant à la faune du Kensington Market de Toronto et en la photographiant. Le film paru posthume – la réalisatrice Michka Saäl étant décédée subitement lors de la postproduction – témoigne de la juste distance entre un sujet et un artiste. Cette aptitude presque physique ne s’apprend pas, elle s’opère entre le corps, l’esprit et l’outil dans une alchimie surprenante. Anne J. Gibson possède très visiblement ce don. New Memories est fait de la même essence. 

QUE VAUT UNE IMAGE ? Il est banal d’affirmer qu’il y a trop d’images. Évoluant au sein de ce qu’on pourrait qualifier de dictature du visuel, nous faisons jour après jour l’expérience d’un trop-plein. Omniprésence d’une publicité de plus en plus totalisante, vie numérique qui engloutit les différentes sphères de nos vies, gavage de « contenus » audiovisuels qui défilent plus vite que nos yeux ne sont capables de capter… Le film d’Helen Doyle, Dans un océan d’images, s’il part de cette assertion, s’en éloigne assez rapidement pour revenir plutôt aux images qui ont un sens. En interrogeant des photojournalistes qui ont témoigné des plus grandes horreurs du monde contemporain, Doyle nous invite à nous rappeler que ce n’est pas l’image qui est dangereuse, mais bien la capacité de la décrypter et la faculté de continuer à la voir. Un film absolument nécessaire qui réinsuffle du sens au milieu du tumulte du monde. Enfin, on termine cette escale avec un documentaire qui utilise la photographie pour construire son discours : Guillermina Ici, ce sont les images fixes et leur accumulation qui viennent apporter un sens nouveau au récit que nous fait une voix-off. La photographie comme archive : des dizaines de femmes noires, nourrices, posant aux côtés des enfants blancs dont elles s’occupaient, à Cuba, dans la première moitié du 20e siècle. Des femmes noires qui dans l’image petit à petit s’effacent, parce que leur peau est sous-exposée, ou bien tout simplement parce qu’on les cache : esclaves utiles à accompagner l’enfant, mais qui n’ont pas ce droit : être fixées par l’image photographique, rester dans des archives de famille, rester dans l’histoire… Ici l’image revient comme témoin inaltérable d’un passé honteux. Et la cinéaste nous invite à y faire face.

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