Échos de Mai

Échos de Mai

Il y a, dans l’histoire humaine, de curieuses brèches qui révèlent, sous l’apparence solide de la réalité, de nouveaux mondes. Des formes jamais vues, des pensées d’un nouveau type, des sentiments même, parfois, qui surgissent et qu’on ne reconnaît pas, qui ont le goût de l’inconnu et de l’impensé. Ces moments ne surgissent pas du néant, ils sont charriés par des courants souterrains, qui s’activent et grondent depuis longtemps déjà, et qui tout à coup rencontrent la brèche qui leur permet de jaillir. Ces moments sont spectaculaires à voir, à vivre. Ils sont dramatiques, intenses, totaux. Ce sont leurs lendemains qui vacillent, et dont on ne sait trop s’ils sont le refus ou la suite. Mai 68 fait partie de ces événements politiques qui ont marqué l’imaginaire mondial. Une insurrection inouïe, qui s'abreuve autant à l’imaginaire des barricades de 1848 qu’à celui de la contestation étudiante et aux luttes anticapitalistes. On y cite Antonin Artaud, Herbert Marcuse, Guy Debord, Mao, Che Guevara. Les courants d’influence sont de multiples allégeances et la contestation de 68 est présente partout : Québec, États-Unis, Italie, Espagne, Allemagne, Suède Pologne, Japon, République tchèque… À l’Ouest, on se révolte contre la guerre du Vietnam, contre la morale puritaine, contre l’hypocrisie sociale et un monde d’après-guerre sclérosé, rongé par le consumérisme. À l’Est, on lutte pour un socialisme au visage humain et à la démocratisation de la société. Pour cette escale Échos de Mai, nous avons cherché à faire la lumière sur les événements français. À travers cinq œuvres qui revisitent chacune un pan de cette période, nous proposons un portail temporel qui amène directement le spectateur d’aujourd’hui au cœur des événements. Aucune analyse, aucun commentaire figé. Il s’agit de laisser parler les regards, les acteurs et les témoins de l’époque ; avec leurs biais, leurs colères et leurs espoirs. Que pouvons-nous tirer aujourd’hui de ces documents d’une valeur inestimable qui possèdent encore la chaleur et la palpitation des corps de l’époque ? Que chacun tende l’oreille aux échos qui leur parviennent, et que les films résonnent avec leur présent.

AU COEUR DES BARRICADES

Film culte de William Klein, Grands soirs et petits matins permet d’accéder à la parole de Mai. Klein déambule dans les rues de Paris, mi-amusé, mi-conquis, et filme les attroupements de badauds, les discussions, les rebuffades, les empoignades. On y croise les personnages centraux de Mai, on entend les discours de De Gaulle, Pompidou, Mitterrand. Les gens semblent grisés d’habiter la rue et de se parler : garçons de café qui haranguent les intellectuels, paysans qui clouent le bec aux petits-bourgeois… 15 jours de mai montés chronologiquement en un morceau d’anthologie du cinéma direct. Le très beau titre de Klein laisse présager des lendemains difficiles. Mai 68, la belle ouvrage constitue un document inédit sur la violence policière et la répression politique qui sévissait pour mater la révolte. Réalisé dans le feu des événements et présenté à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes en 1969, le film donne la parole à des témoins et victimes traumatisés. Journalistes, médecins, étudiants, passants ; ils décrivent chacun dans le détail ce qui apparaît comme un exercice coordonné de répression et de terreur. Un film percutant et désarçonnant sur l’envers des barricades et sur les dérives d’un État de droit.

RÉINVENTER LE DISCOURS

Les films de Mai participent à créer une forme de mystique autour des événements : un idéal de lutte et de résistance somme toute très viril, des héros que l’on encense, et des étudiants qui éclipsent le reste des insurgés. Or, comme toujours, la réalité déborde de ce beau cadre. La classe ouvrière ne suit pas les étudiant.e.s, elle est dans une même temporalité. En janvier 68, une grève très dure éclate à Caen et laisse présager ce qui adviendra en Mai. Les conditions de travail sont déplorables en France, l’ordre patronal et les cadences infernales sont remises en question. Les syndicats sont présents. Classe de lutte offre un témoignage de la lutte ouvrière aux couleurs de Mai ; ici, on tente de décloisonner le discours et on cherche à accéder à d’autres types de savoirs. En effet, ce film est réalisé par les ouvriers eux-mêmes sous l’égide de Chris Marker et du groupe SLON, via le Groupe Medvedkine. On assiste non seulement à une pensée politique en marche, mais à une forme d’autonomisation à travers l’appropriation des moyens de production du discours. Les analyses de Suzanne Zedet, ouvrière militante au cœur du film, offrent encore aujourd’hui une vision éclairante, complexe et lucide des rapports sociaux de classe et de la violence sous-jacente. Un film d’une importance capitale. Mai 68, c’est aussi une révolte artistique et une entrée fracassante dans la modernité. Ce n’est pas pour rien que l’on y scande : l’imagination au pouvoir ! Pierre Clémenti, figure emblématique de la contre-culture et coqueluche de plusieurs grands cinéastes européens, nous livre avec La Révolution n’est qu’un début. Continuons le combat. un pamphlet psychédélique pour une révolution permanente, entremêlant images de la révolte de Paris et films de famille. Une brèche de beauté qui semble faire écho au fameux graffiti : « plutôt la vie ». On termine cette escale en redonnant la parole aux grandes censurées de Mai sont les femmes. Censurées, car elles ne sont pas absentes. Elles sont partout dans les rues, aux barricades, dans les comités d’action, dans les universités, dans les usines… Seulement, leur parole n’existe pas. C’est particulièrement frappant dans les deux premiers titres proposés. Or, Mai 68 offre un terrain d’apprentissage et d’affinage des armes exceptionnel pour les femmes, dont la création du MLF en 1970 apparaît comme la suite logique. Avec Y’a qu’à pas baiser !, on se permet un petit saut de trois ans pour aller sur le terrain réjouissant des luttes féministes, ici vues à travers la question de l’avortement. Un rappel par la bande que Mai 68 s’attaquait également au puritanisme et au paternalisme de l’époque. La libération sexuelle était en marche et les femmes étaient en avant !

PROGRAMMATION

Frédéric Savard Archiviste et programmateur

Naomie Décarie-Daigneault Directrice artistique de Tënk

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