La chute d'Icare

La chute d'Icare

LA CHUTE D'ICARE

Une nuit d’hiver de pleine lune, levez les yeux au ciel. Un soir d’été à la campagne, levez les yeux au ciel. Une nuit en mer, levez les yeux au ciel. À votre arrivée dans une ville étrangère, levez les yeux au ciel.

 


Les paysages célestes qui se déploient chaque soir sont toujours de nouveaux tableaux. Nos sens ne nous rendent qu’une minuscule parcelle de ce qui s’y trame. Ils faillent à en capter l’essentiel. Tout nous dépasse dans cette ouverture infinie vers l’au-delà. Tout nous échappe. Nous construisons des instruments pour pallier la faillite de nos sens, nous cartographions, nous nommons, nous conquérons à coup de drapeaux, satellites et télescopes des zones de l’infini, comme si nous pouvions transposer nos lois humaines dans cet incommensurable. La voûte étoilée, cet autre monde, ce grand vertige de l’indétectable, de la béance sans frontières, sans bords, nous aspire parfois. Quand nous levons les yeux, dans la solitude de notre condition humaine, que nous saisissons en un frisson cette ouverture totale, parfois nous nous rappelons. L’humanité est non seulement fragile, elle est improbable. Comment en sommes-nous arrivés à ça? À ces conflits permanents, ces boucheries, ces haines?

Cette escale autour de La chute d’Icare veut explorer les possibilités qu’offre le ciel de penser différemment l’espèce humaine. S’étant trop approché du soleil, Icare s’est brûlé les ailes. Utilisant le mythe non pas pour nous rappeler à l’ordre face à une autorité humaine, c’est plutôt pour se rappeler que les envies individuelles de Toute-Puissance ne conduisent pas au firmament. Peut-être que ce qui devrait nous habiter face à ces cieux inconquérables ne devrait être qu’une humilité reconnaissante face au miracle de l’existence. Alors, peut-être, le respect de toutes les formes du vivant nous semblerait plus essentiel.

 

LA CONQUÊTE DES CIEUX

Notre siècle, film réalisé à la fin de l’ère soviétique par le cinéaste poète arménien Artavazd Pelechian, est peut-être l’œuvre qui encapsule le mieux la thématique explorée par cette escale. Dans une fresque lyrique de 30 minutes composée d’images d’archives, sans commentaire, Pelechian questionne notre siècle et son mythe du Progrès, entre fascination, exaltation et répulsion. Processions, domination de la nature, conquête des airs puis de l’espace, occupation et destruction, partout. Un siècle de vanité entêtée, aveuglée et aveuglante, qui préfère à la vie même la domination de cette dernière. Cinéaste de l’accumulation, de la démesure, Pelechian condense dans ce film les tragédies d’un siècle, marqué notamment par la faillite du progrès. Machines en tout genre se succèdent, utopies d’acier faisant miroiter la libération aux foules optimistes qui se pressent pour applaudir la parade. Culminant dans un spectaculaire lancement de fusée, Notre siècle célèbre néanmoins la virtuosité avec laquelle les humains ont mis en scène leurs propres légendes et encensé leurs exploits.

Space Dogs nous permet de poursuivre cette réflexion sur les vanités humaines et les velléités de puissance en adoptant la perspective – littéralement – d’un groupe de chiens errants. Laïka, célèbre chienne qui fut le premier être vivant envoyé dans l’espace – pour y mourir brûlée –, revient hanter les rues de Moscou dans ce documentaire aux allures d’uchronie. Déstabilisant et confrontant, ce film déjoue l’anthropocentrisme par un traitement cinématographique inusité et parfaitement maîtrisé. Le récit de Laïka, arrachée à son errance pour être envoyée en orbite, devient une métaphore tordue de notre rapport au monde animal et à toutes les formes de vivant non humain, triturées, exploitées, déformées, sacrifiées, pour répondre à nos aspirations.

Aborder la conquête de l’espace ne peut évidemment se faire sans évoquer la guerre froide, qui fut le fer de lance d’une course technologique sans précédent entre les États-Unis et l’URSS, et qui culminera avec Apollo 11 et les pas de Neil Armstrong sur la Lune en juillet 1969. Out of the Present, documentaire du cinéaste roumain Andrei Ujica, est un document d’une préciosité inouïe et dont le synopsis vaut à lui seul le détour. En mai 1991, le cosmonaute soviétique Sergheï Krikalev s’envole pour la station orbitale Mir. À son retour, 10 mois plus tard, son pays n’existe plus. L’Union soviétique a éclaté. Oeuvre époustouflante mariant documents vidéo tournés pendant la mission et images additionnelles filmées en 35 mm dans la station spatiale russe, dont le tournage fut coordonné par le directeur de la photographie Vadim Yusov (derrière le Solaris de Tarkovski), le film documente en parallèle de cette vie en apesanteur les événements politiques qui mènent au putsch de Moscou. Époustouflant!

 

LA PESANTEUR DES ASTRES

Si les cieux ont aiguisé l’appétit humain pour la conquête, ils nourrissent également de tout autres appétits, réflexifs et intérieurs, ceux-là. Le désert d’Atacama au Chili est un des lieux les plus prisés par les astronomes. Nombre d’observatoires y sont installés, dessinant sur ce paysage lunaire des forêts de télescopes, dont les mouvements saccadés créent de curieusement émouvantes danses. Dans ce lieu improbable, à des milles de nos imaginaires urbains et surpeuplés, l’esprit se perd dans la contemplation de la beauté et du mystère face à la voûte céleste, d’une profondeur vertigineuse. Cielo, le premier long métrage de la réalisatrice canadienne Alison McAlpine, célèbre la grandiosité de cet infini qui se déploie constamment sous nos yeux. De sa voix solennelle, calme et apaisante, elle guide nos rêveries dans une méditation cinématographique rassérénante. Par une approche alliant science, spiritualité, infiniment petit et infiniment grand, Cielo parvient à rendre l’intensité du vertige qui habite chaque humain.e confronté.e à l’immensité du ciel. Cette œuvre poétique, teintée d’un grand respect pour le vivant, ramène l’humain non pas dans sa finitude et sa différence, mais dans sa relation aux entités écologiques qui partagent sa réalité, s’inscrivant dans un nouvel humanisme qui accepte la relation d’interdépendance de toutes les formes du vivant.

Détour et fin par la figure lunaire, astre parmi les astres, celle au clair de qui nos vies se déroulent. Influant sur les marées, éclairant nos nuits, organisant notre temps et guidant nos rêves, cet objet céleste, satellite naturel de la Terre, a toujours joué un rôle dans les cultures humaines. La cinéaste expérimentale Malena Szlam, intéressée par la temporalité et la matérialité du cinéma, crée avec Lunar Almanac une chronique des phases de la Lune en en capturant la lumière à travers de longues expositions sur pellicule. Plus de 4 000 images sont utilisées dans ce dévoilement des temporalités lunaires dépliées sur un même axe, créant une ode au pouvoir mystérieux de l’astre.

 

Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk

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