Nous sortirons de nos cuisines - Épisode 4 - Épilogue : on a réussi, mais on n’a pas fini (1982-2024)

Jenny Cartwright nous offre avec sa série documentaire Nous sortirons de nos cuisines un témoignage d’une préciosité inouïe. En retraçant l’histoire de la première troupe de théâtre féministe québécoise, elle dessine la fresque historique des décennies les plus enivrantes de la lutte des femmes, tout en racontant au passage des pans majeurs de l’histoire du Québec. Construite à partir des récits des quatre membres de la troupe, Solange Collin, Carole Fréchette, Johanne Doré et Véronique O’Leary, nous accédons aux coulisses des luttes qui ont mené notamment à la légalisation de l’avortement, à la mise sur pied de garderies publiques, à la reconnaissance du travail ménager, aux congés de maternité, et ce, sous l’angle inédit de cette troupe révolutionnaire.

On s’étonne de ne pas avoir entendu davantage les femmes interrogées dans cette œuvre tant leur intelligence politique est sidérante. Les jeunes féministes se réjouiront d’accéder à cette mémoire, livrée avec tout le brio dont Cartwright nous a habitué·e·s, elle qui est aujourd’hui une figure de proue de la création radiophonique avec cette 9e création sonore. Le format radiophonique ne saurait être plus à propos, permettant aux voix de se déployer, aux idées de se déplier et à la parole d’enfin exister sans être interrompue.

Ce dernier épisode scelle avec émotion cette traversée historique. On s’est prises d’amitié et d’amour pour ces femmes, et c’est avec regret que l’on doit leur dire au revoir, désormais fortes du souvenir de leurs luttes. On rentre davantage dans leurs histoires individuelles, alors que l’on comprend la distance sous-entendue entre les différents témoignages. Le Théâtre des cuisines n’aura pas pu échapper aux conflits personnels, aux petites et grandes trahisons, aux questions d’égo. Malgré tout, une tendresse résiste à l’amertume, et la fierté demeure. À défaut d’avoir légué aux descendantes le monde dont elles rêvaient, les militantes mesurent tout de même la distance parcourue d’avec le monde de leurs grands-mères. La posture de la clown défendue par O’Leary offre un exutoire franchement salutaire dans la noirceur du monde actuel. Si l’étouffant désespoir face au monde qu’elle évoque résonne particulièrement en moi, la résilience dont elle témoigne, ainsi que son inventivité existentielle et sa soif de vivre et de connaître me regonflent d’espoir. En ces femmes exceptionnelles et humaines, j’ai trouvé des modèles. Merci, Jenny.
 

Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk