_California Company Town_ pose un regard interrogateur sur le paysage des villes californiennes délaissées par les industries qui les ont créées - jadis villes prospères, aujourd'hui hantées par le déclin de la promesse américaine.
Réalisateur | Lee Anne Schmitt |
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La colonisation de l’Amérique signifie la transformation radicale d’un territoire. Une force inouïe dans l’histoire s’est emparée d’un continent et l’a renversé lui-même. Physiquement, le voilà déraciné, retourné. Sens dessus dessous ; non seulement ne pousse plus la végétation ni ne s’y nourrissent des espèces variées, mais un homme d’un genre spécifique – extractiviste, mécaniste, technologiste, productiviste et consumériste – s’y installe pour y générer des immeubles, de l’asphalte, des usines, des maisons à perte de vue. Ses logos remplaceront les oiseaux. Son néon, le soleil.
Jadis, parler de la Californie en termes de pays, c’était évoquer la nature, une nature correspondant à une dimension spirituelle, à un état d’esprit. Les traces esthétiques qu’il nous reste du monde ancien, fresques picturales elles-mêmes en ruines, font pâle figure à côté de tout cet éclat. Elles témoignent d’un temps devenu pour nous trop lent, trop silencieux, trop intégré à un monde travaillé par ses profondeurs pour pouvoir être supporté longtemps.
Ainsi, California Company Town nous les fait voir furtivement, car nous ne savons plus de toute façon nous y river pour en apprécier le menu mouvement, la lente évolution, comme les réalisateurs Jean-Marie Straub et Danièle Huillet avaient encore le courage de nous les imposer. Ou encore les contemple-t-on à travers une propagande datée, une nature vierge pouvant être, même furtivement, chantée en voix off.
Cette exploitation a une histoire, celle de villes industrielles en tous points dominées par un propriétaire à l’ancienne. Bois, minerais, pétrole, agriculture intensive, pêche, bases militaires, camps de concentration pour Japonais, prison, site aérospatial… tout y passe. Ces villes tombent, laissées à l’abandon. Elles ont été débordées par la marche de l’histoire du capital, désormais mondialisé et concentré sur de vastes échelles. Il reste de ces étapes les ruines de la destruction, selon le double génitif : la nature ruinée par les procédés destructeurs du capitalisme, et ces procédés-là eux-mêmes en ruines parce que transmués en des formes d’exploitation plus grandes encore.
Il en reste des paysages sordides, des usines fantômes, des terres recyclées pour satisfaire le simulacre de l’industrie touristique, un passé socialiste et syndicaliste révolu et les souvenirs du mouvement d’émancipation des Noirs à son plus fort. Restent aussi une discursivité évangéliste se donnant le déni pour principal moteur ainsi que le vase clos techno-industriel de la Silicon Valley.
Alain Deneault
Philosophe
La colonisation de l’Amérique signifie la transformation radicale d’un territoire. Une force inouïe dans l’histoire s’est emparée d’un continent et l’a renversé lui-même. Physiquement, le voilà déraciné, retourné. Sens dessus dessous ; non seulement ne pousse plus la végétation ni ne s’y nourrissent des espèces variées, mais un homme d’un genre spécifique – extractiviste, mécaniste, technologiste, productiviste et consumériste – s’y installe pour y générer des immeubles, de l’asphalte, des usines, des maisons à perte de vue. Ses logos remplaceront les oiseaux. Son néon, le soleil.
Jadis, parler de la Californie en termes de pays, c’était évoquer la nature, une nature correspondant à une dimension spirituelle, à un état d’esprit. Les traces esthétiques qu’il nous reste du monde ancien, fresques picturales elles-mêmes en ruines, font pâle figure à côté de tout cet éclat. Elles témoignent d’un temps devenu pour nous trop lent, trop silencieux, trop intégré à un monde travaillé par ses profondeurs pour pouvoir être supporté longtemps.
Ainsi, California Company Town nous les fait voir furtivement, car nous ne savons plus de toute façon nous y river pour en apprécier le menu mouvement, la lente évolution, comme les réalisateurs Jean-Marie Straub et Danièle Huillet avaient encore le courage de nous les imposer. Ou encore les contemple-t-on à travers une propagande datée, une nature vierge pouvant être, même furtivement, chantée en voix off.
Cette exploitation a une histoire, celle de villes industrielles en tous points dominées par un propriétaire à l’ancienne. Bois, minerais, pétrole, agriculture intensive, pêche, bases militaires, camps de concentration pour Japonais, prison, site aérospatial… tout y passe. Ces villes tombent, laissées à l’abandon. Elles ont été débordées par la marche de l’histoire du capital, désormais mondialisé et concentré sur de vastes échelles. Il reste de ces étapes les ruines de la destruction, selon le double génitif : la nature ruinée par les procédés destructeurs du capitalisme, et ces procédés-là eux-mêmes en ruines parce que transmués en des formes d’exploitation plus grandes encore.
Il en reste des paysages sordides, des usines fantômes, des terres recyclées pour satisfaire le simulacre de l’industrie touristique, un passé socialiste et syndicaliste révolu et les souvenirs du mouvement d’émancipation des Noirs à son plus fort. Restent aussi une discursivité évangéliste se donnant le déni pour principal moteur ainsi que le vase clos techno-industriel de la Silicon Valley.
Alain Deneault
Philosophe
FR- California company town
EN- California Company Town