Pendant deux ans, Nikolaus Geyrhalter a placé sa caméra au coeur des plus grands groupes européens agricoles et filmé les employés, les lieux et les différents processus de production pour réaliser une épopée humaine qui interroge et implique intimement chaque spectateur.
Réalisateur | Nikolaus Geyrhalter |
Acteur | Alain Deneault |
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Faisant l’histoire du thème de l’« économie de la nature », l’historien des sciences Donald Worster observait à la fin des années 1970 que l’approche dite « impériale » de la nature avait triomphé de l’« arcadienne¹ ». Cette dernière, qu’on reconnaît de manière emblématique dans les écrits de Carl von Linné ou Gilbert White au XVIIIe siècle, plaçait les sujets humains dans la nature, les considérait traversés par elle et voyait en eux une espèce parmi d’autres. Comme animaux rationnels, ils étaient à même de s’étonner de la nature, de la contempler à la manière de l’œuvre de Dieu. Pour les tenants de l’approche impériale, à l’origine du capitalisme agraire, de la monoculture et de la modification génétique du vivant, Dieu n’est pas absent, mais il campe un tout autre rôle, celui d’une caution. C’est en son nom que les sujets humains se prétendent autorisés à parachever son œuvre. Comme ils ont été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, ils ont, comme lui, l’autorité de façonner le domaine du monde, de compléter son œuvre inaboutie, laissée en friche. La nature, ils en disposent donc et la traitent à leur guise, la maltraitent, l’exploitent, l’évident, la dévitalisent à leur propre profit. Ils lui font la guerre. Sans voix off, laissant crûment les faits parler d’eux-mêmes, _Notre pain quotidien_ atteste de l’accomplissement de cette idéologie dans un univers machinique qui triomphe du vivant à un point mortifère.
Alain Deneault
Philosophe
¹ Donald Worster, _Nature’s Economy. A History of Ecological Ideas_, Cambridge university press, 1977. En français, _Les Pionniers de l’écologie, Nature’s Economy_, Paris, Sang de la Terre, 2009.
Faisant l’histoire du thème de l’« économie de la nature », l’historien des sciences Donald Worster observait à la fin des années 1970 que l’approche dite « impériale » de la nature avait triomphé de l’« arcadienne¹ ». Cette dernière, qu’on reconnaît de manière emblématique dans les écrits de Carl von Linné ou Gilbert White au XVIIIe siècle, plaçait les sujets humains dans la nature, les considérait traversés par elle et voyait en eux une espèce parmi d’autres. Comme animaux rationnels, ils étaient à même de s’étonner de la nature, de la contempler à la manière de l’œuvre de Dieu. Pour les tenants de l’approche impériale, à l’origine du capitalisme agraire, de la monoculture et de la modification génétique du vivant, Dieu n’est pas absent, mais il campe un tout autre rôle, celui d’une caution. C’est en son nom que les sujets humains se prétendent autorisés à parachever son œuvre. Comme ils ont été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, ils ont, comme lui, l’autorité de façonner le domaine du monde, de compléter son œuvre inaboutie, laissée en friche. La nature, ils en disposent donc et la traitent à leur guise, la maltraitent, l’exploitent, l’évident, la dévitalisent à leur propre profit. Ils lui font la guerre. Sans voix off, laissant crûment les faits parler d’eux-mêmes, _Notre pain quotidien_ atteste de l’accomplissement de cette idéologie dans un univers machinique qui triomphe du vivant à un point mortifère.
Alain Deneault
Philosophe
¹ Donald Worster, _Nature’s Economy. A History of Ecological Ideas_, Cambridge university press, 1977. En français, _Les Pionniers de l’écologie, Nature’s Economy_, Paris, Sang de la Terre, 2009.
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