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L'héritage de Radio-Canada

L'héritage de Radio-Canada

L'héritage de Radio-Canada; quand la télévision donnait à penser
 

À l’occasion de la parution d’un numéro du magazine Spirale dédié aux fictions télévisuelles au Québec, Tënk s’est associé à la revue et au Labo CinéMédias afin de réfléchir à la télévision comme appareil qui donne à penser. Nous interrogeant sur le caractère fondamentalement démocratique d’un média public et des responsabilités à l’égard du bien commun qui en découlent, nous avons sélectionné quatre productions télévisuelles radio-canadiennes qui témoignent d’une volonté de pousser la réflexion collective.

 

Présenté en partenariat avec
 

                                              



Le potentiel émancipateur d’un média public est inouï. Malgré les pressions politiques et économiques induites par le reste de l’écosystème, son existence même relève d’une forme d’utopie démocratique. Évidemment, sa structure reproduit des biais et charrie son lot d’angles morts, amplifié par son mandat nationaliste. Mais qu’une aussi grosse structure communicationnelle puisse exister, être prise en charge collectivement, et puisse même minimement échapper à la pression de la rentabilité pour répondre à une mission d’éducation populaire et de valorisation des expressions culturelles relève d’un choix démocratique impossible à imaginer aujourd’hui tellement les projets de cette envergure semblent appartenir à un autre monde. Alors que les acquis des années collectivistes sont soumis à un exercice de destruction annoncé – on n’a qu’à jeter un œil sur le réseau de la santé privatisé morceau par morceau, au réseau des CPE délaissé au profit des garderies privées, à la campagne de communication publique pour préparer la privatisation d’Hydro-Québec… – on aurait peine à imaginer un vaste chantier pour une grande infrastructure publique. L’heure est à la privatisation et à la fragmentation. Et les chambres d’écho se multiplient, leur rumeur ne dépassant jamais les quatre murs de leurs enfermements réciproques.

Ennuyé par le manque de propositions documentaires intéressantes visibles à Radio-Canada, nous avons donc voulu faire un retour sur d’anciennes productions qui cherchaient à faire entrer la pensée dans les foyers. Elles reconduisent certainement les partis pris d’une élite intellectuelle et ne sont pas sans faute. Mais néanmoins, là où elles nous interpellent, c’est principalement dans leur durée, dans l’exposition à des courants artistiques exigeants et peu racoleurs, dans leur radicale austérité (probablement plus imposée que recherchée!), et dans l’attention qu’elles accordent au poids des mots et à la possibilité d’énoncer dans un média de masse des idées nouvelles, confrontantes ou critiques. C’est une drôle d’ironie de penser qu’une forme télévisuelle radicale aujourd’hui serait précisément le retour aux « têtes parlantes » honnies des productions contemporaines, à une absence de décor, et à la longueur d’un entretien, qui éviterait le seul recours à la curiosité biographique!

Une des émissions phares de Radio-Canada est sans contredit Le sel de la semaine, dans laquelle Fernand Séguin, biochimiste de formation et grand communicateur, interroge des personnalités locales et internationales. Les habiletés d’intervieweur de Séguin couplées aux profondes mutations vécues par la société québécoise ont fait de cette émission un condensé extraordinaire de la fin des années 1960. Nous avons opté pour l’entrevue avec Anaïs Nin, témoignage audiovisuel bouleversant d’une artiste majeure qui a archivé l’étourdissant 20e siècle à travers son œuvre diaristique. Hélas moins connue que nombre d’hommes de lettres dont elle fut la muse, cette entrevue permet de plonger dans l’incroyable existence de cette auteure qui a transcendé l’art du journal.

Impossible à passer sous silence, l’émission Femme d’aujourd’hui offre un cours d’histoire des féminismes au Québec en accéléré. Diffusée pendant 17 ans, la production radio-canadienne est passée de magazine féminin d’après-midi à une émission d’actualités sociales s’interrogeant sur les plus grands enjeux du siècle. Contraception, avortement, mouvements féministes, travail, charges du foyer, lesbianisme, célibat… Rien n’échappe au crible de cette quotidienne, qui interrogera les grandes personnalités féminines de l’époque, de Simone de Beauvoir à Han Suyin. Si nombre d’épisodes marquants nous ont fait de l’œil, nous avons opté pour l’entrevue de la magistrale Aline Desjardins avec l’intellectuelle Susan Sontag réalisée chez elle à Paris. Cette dernière nous présente avec éloquence son cheminement qui l’a amenée au féminisme.

À l’émission Aujourd’hui, on interroge dans un dispositif des plus sobres, artistes et personnalités influentes de la société québécoise. Pierre Perrault y parle des habitant.e.s de l’Isle-aux-Coudres, Germaine Giroux raconte le Théâtre du Nouveau Monde ou un journaliste s'entretient avec des membres de la famille de Réjean Ducharme. Dans l’extrait choisi pour l’escale, le jeune écrivain Fernand Ouellette fait part de son ouvrage sur le musicien Edgar Varèse. Cofondateur de la revue Liberté et réalisateur d’émissions culturelles à Radio-Canada pendant 27 ans, Ouellette apparaît ici comme particulièrement curieux et intempestif, plein d’une fougue de la découverte contagieuse. Il découvre « la vraie musique » à l’écoute de l’œuvre de Varèse, en 1957, sur suggestion d’Henry Miller. Un autre témoignage émouvant d’une société en train de se transformer radicalement.

Nous concluons cette escale avec l’inclassable adaptation en format téléthéâtre de la pièce culte de Claude Gauvreau La charge de l’orignal épormyable. Diffusée en décembre 1992 dans le cadre des Beaux Dimanches, cette réalisation de Jean Salvy, qui avait signé une adaptation théâtrale du roman de Gauvreau Beauté baroque au Café de la Place des arts en janvier de la même année, permet de rendre accessible à un grand public cette œuvre étrange et angoissante. Dans un univers concentrationnaire dans lequel des voix de femmes agissent comme des chants de sirènes, le poète Mycroft Mixeudeim tente de résister à sa folie et à celles de ses bourreaux. Cette production courageuse rappelle que la télévision peut s’enhardir des autres formes d’art, et que les risques – notamment langagiers – qui peuvent être pris au théâtre peuvent être tentés, même à heure de grande écoute.

Il faut se rappeler constamment les responsabilités qui viennent avec le statut de diffuseur, et se questionner sur ce que les productions portent comme charge, comme éthique, comme regards. C’est à cette qualité de questionnement que relève l’avenir de nos démocraties.
 

Naomie Décarie-Daigneault
Directrice artistique de Tënk
 

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