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Trajectoires de la sourditude

Trajectoires de la sourditude

 

 

En tant qu’entendante, lorsque j’ai commencé à étudier la LSQ, la langue des signes québécoise, j’ai rapidement réalisé que je connaissais bien peu de choses au sujet de la culture Sourde et que très rarement, y avais-je été exposée. À l’occasion de la journée internationale des langues des signes, marquée le 23 septembre de chaque année depuis 2018, j’ai réfléchi cette escale dans l’intention de donner plus de visibilité aux communautés sourdes, encore maintenues dans l’ombre par les médias de masse – et le cinéma ne fait pas exception à la règle. L’année 2022 a débuté avec un vent de fraîcheur, grâce à l’Oscar du meilleur film attribué à un long métrage mettant en vedette des comédien.ne.s sourd.e.s (CODA). Toutefois, les réjouissances autour de cet événement cinématographique m'amènent à me questionner. Quelles représentations des communautés sourdes véhicule la culture mainstream? Suis-je en mesure de nommer d’autres titres dans lesquels jouent des Sourd.e.s? Est-ce qu’un tel succès va permettre aux artistes Sourd.e.s de se tailler une place sur les écrans?

Grâce à cette escale documentaire, j’ai le désir de mettre de l’avant la pluralité des vécus sourds et donner une tribune à la culture Sourde qui est encore trop souvent réduite au silence, mais qui a pourtant tant de choses à révéler et à revendiquer. Loin de toute forme de misérabilisme, cette programmation tient à célébrer la richesse, la diversité et les luttes qui caractérisent cette culture unique.

Au fil de mes recherches, j’ai rencontré les écrits d’auteur.e.s Sourd.e.s, me faisant ainsi découvrir une foule de notions et de nuances spécifiques à leur communauté. La surdité, terme issu et ancré dans le domaine médical, confine notre vision des personnes sourdes et malentendantes comme des êtres défaillants, ayant un handicap à corriger. En réaction à cette définition, le chercheur sourd Paddy Ladd invente en 2003 le néologisme sourditude (deafhood). Ce concept vise à mettre de côté une approche pathologique afin de prioriser un processus de cheminement personnel pour chaque individu, en l’invitant à s’accepter et affirmer les aspects positifs qui résultent de sa condition. Tel que l’explique Véro Leduc, première personne sourde à occuper un poste de professeure dans une université au Québec : «le concept de sourditude peut néanmoins servir de parapluie pour réfléchir à ce que cela signifie de vivre en tant que personne sourde, au devenir sourd (un vécu qui se transforme avec le temps) ainsi qu’aux rapports de pouvoir marqués notamment par l’audisme – à savoir un système normatif qui valorise les personnes entendantes et leurs façons de vivre (ex: entendre, parler) et place les personnes sourdes en situation de subordination ou de discrimination, et ce, par un ensemble de pratiques, d’actions, de croyances et d’attitudes».

Véritable vecteur d'émancipation, la sourditude réitère l’importance des langues des signes au-delà d’outils communicationnels: la maîtrise d’une langue signée permet l’expression d’une identité Sourde et la cohésion de groupe d’une minorité culturelle. Reconnues comme langues à part entière depuis les années 60, l’ONU dénombre aujourd’hui environ 300 langues signées distinctes.

Par l’entremise de cette programmation, je vous présente cinq langues des signes, soit la LSF (J’avancerai vers toi avec les yeux d’un Sourd), la DGS (Louisa), l’ÖGS (Voir la voix), l’ISN (Une vie sans les mots) et l’ISL (Signer). Ce dernier titre, réalisé par la documentariste Nurith Aviv, nous démontre que tout comme les langues parlées, chaque langue des signes comporte des subtilités d’accents et de dialectes, en plus d’être soumise aux influences d’autres langues et aux emprunts linguistiques. Chacune d’entre elles possède son histoire et ses propres particularités de vocabulaire, de grammaire, de syntaxe, de sémantique et même de l’argot ! Définies comme langues visuo-gestuelles, les langues signées ne se limitent pas au mouvement des mains, elles font usage du corps dans son ensemble.

Tel que témoigné dans les films, la sourditude n’a pas de frontières, elle s’étend sur un large spectre: ici, tous les protagonistes filmé.e.s ont des parcours singuliers. Certain.e.s, par manque de ressource, n’ont jamais appris à communiquer et sont initié.e.s à une langue signée (Une vie sans les mots) tandis qu’une autre a été élevée dans l’oralisme et refuse l’implant cochléaire (Louisa). Certain.e.s sont des enfants entendants de parents sourds (Signer), quelques-un.e.s ont la chance d’apprendre leur langue maternelle bien entouré.e.s (Voir la voix).

À travers les œuvres, la question identitaire revient souvent. Chaque individu navigue différemment sa sourditude, selon sa condition: sourd.e de naissance, malentendant.e, implanté.e ou devenu.e-sourd.e. La vision de la surdité diffère également au sein de la communauté: certain.e.s considèrent leur condition comme un handicap, d’autres comme une caractéristique propre à leur identité. Toutes ces réalités divergent et pourtant, tous et toutes font face à la stigmatisation et aux mêmes oppressions (J’avancerai vers toi avec les yeux d’un Sourd).

Être un.e allié.e, c’est s’informer, réfléchir à nos privilèges d’entendant.e.s et mettre en œuvre des moyens concrets pour une meilleure inclusion sociale des personnes sourdes et malentendantes. C’est également reconnaître que les discriminations persistent et que l’audisme s’exprime souvent de façon inconsciente – d’où l’importance de le déconstruire.

 

Anouk Vallières
Programmatrice invitée, cinéphile difficile et glaneuse urbaine

 

 

RÉFÉRENCES

Leduc, V. (2018). La trajectoire historique de la sourditude. Relations, (797), 19–20

www.un.org/fr/observances/sign-languages-day

histoireengagee.ca/la-langue-des-signes-quebecoise-langue-populaire-et-enjeux-ordinaires

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