Montréal, septembre 1984. À cinq jours d'intervalle, les Montréalais·e·s accueillent au Stade olympique Jean-Paul II et Michael Jackson. Quelle belle occasion pour tenter de cerner l'impact des médias sur les foules! Maniant l'ironie jusqu'à la causticité, le film donne la parole à ceux et celles marginalisé·e·s par le discours officiel de l'Église : homosexuels, lesbiennes, femmes avortées ou violentées. Ni documentaire, ni fiction, ni reportage, _Passiflora_ est avant tout du cinéma qui tache, qui laisse des traces et des images, qui mêle avec bonheur la réflexion, les techniques d'animation, le jeu, l'humour et la chanson.
Réalisateurs | Fernand Bélanger, Dagmar Gueissaz-Teufel |
Acteur | Richard Brouillette |
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Très certainement, Passiflora est le film le plus irrévérencieux et le plus – littéralement – iconoclaste jamais produit par l’ONF. Aussi, 40 ans plus tard, la puissance de sa charge contre l’ordre établi est toujours aussi époustouflante.
Surpassant même en sacrilège Cap d’espoir de Jacques Leduc (1969), censuré par la direction de l’ONF pendant cinq ans, le film piétine avec allégresse tous les interdits et les bigoteries de l’époque. Il le fait en recourant à plusieurs éléments qui, chacun à leur manière, sont à la fois doigts d’honneur et revendications : graffitis insolents, animations sarcastiques, chansons impies, scènes de fiction outrageuses, séquences documentaires narquoises, citations dramaturgiques libératrices (Les fées ont soif), etc. À travers cette effervescence, les cinéastes donnent la parole aux mécréants, anathèmes, apostats et relaps de ce monde, souvent en télescopant la fiction dans le réel. De toute évidence, Bélanger était guidé par l’esprit frondeur et disruptif de Borduas, auquel il avait consacré son premier film (Via Borduas, 1968), malheureusement totalement interdit de diffusion par la succession du peintre.
Par contre, les patrons de l’ONF ayant probablement appris, au fil des ans, que la censure pure et dure d’un film n’était pas la meilleure méthode d’enterrer une œuvre (ça finit par faire du tapage!), ils se sont plutôt employés avec assiduité à entraver la distribution de Passiflora. Notamment, pendant des décennies, ils ont obstinément refusé de le sous-titrer en anglais, malgré les protestations et les suppliques qui leur furent adressées à répétition par de nombreux programmateurs, cinéphiles et professeurs anglophones, au premier chef desquels Piers Handling, du Festival of Festivals de Toronto (aujourd’hui le TIFF), où eut lieu la première, et Tom Waugh. Ils n’auront finalement cédé que tout récemment.
Film choral qui fait éclater le montage parallèle, Passiflora est également une grande œuvre cinématographique qui enchaîne les audaces formelles. La conception sonore, en particulier, est remarquable. D’une part, les cinéastes et monteurs sonores (Christian Marcotte et Claude Beaugrand) tirent profit des défis liés à la cacophonie ambiante, lors de la prise de son originale, en postsynchronisant de façon souvent loufoque les dialogues documentaires (on se demande parfois, s’il ne s’agit pas d’effets en « trompe-l’oreille »). D’autre part, l’utilisation de sons inusités qui contrastent avec l’image s’avère très créative. La musique, enfin, joue un rôle de premier plan et on entend dans le film les prémisses de ce qui deviendra Le trésor de la langue, de René Lussier, auquel Bélanger consacrera un autre film, Le trésor archange (1996).
Richard Brouillette
Cinéaste, producteur, éleveur de poules et comptable
Très certainement, Passiflora est le film le plus irrévérencieux et le plus – littéralement – iconoclaste jamais produit par l’ONF. Aussi, 40 ans plus tard, la puissance de sa charge contre l’ordre établi est toujours aussi époustouflante.
Surpassant même en sacrilège Cap d’espoir de Jacques Leduc (1969), censuré par la direction de l’ONF pendant cinq ans, le film piétine avec allégresse tous les interdits et les bigoteries de l’époque. Il le fait en recourant à plusieurs éléments qui, chacun à leur manière, sont à la fois doigts d’honneur et revendications : graffitis insolents, animations sarcastiques, chansons impies, scènes de fiction outrageuses, séquences documentaires narquoises, citations dramaturgiques libératrices (Les fées ont soif), etc. À travers cette effervescence, les cinéastes donnent la parole aux mécréants, anathèmes, apostats et relaps de ce monde, souvent en télescopant la fiction dans le réel. De toute évidence, Bélanger était guidé par l’esprit frondeur et disruptif de Borduas, auquel il avait consacré son premier film (Via Borduas, 1968), malheureusement totalement interdit de diffusion par la succession du peintre.
Par contre, les patrons de l’ONF ayant probablement appris, au fil des ans, que la censure pure et dure d’un film n’était pas la meilleure méthode d’enterrer une œuvre (ça finit par faire du tapage!), ils se sont plutôt employés avec assiduité à entraver la distribution de Passiflora. Notamment, pendant des décennies, ils ont obstinément refusé de le sous-titrer en anglais, malgré les protestations et les suppliques qui leur furent adressées à répétition par de nombreux programmateurs, cinéphiles et professeurs anglophones, au premier chef desquels Piers Handling, du Festival of Festivals de Toronto (aujourd’hui le TIFF), où eut lieu la première, et Tom Waugh. Ils n’auront finalement cédé que tout récemment.
Film choral qui fait éclater le montage parallèle, Passiflora est également une grande œuvre cinématographique qui enchaîne les audaces formelles. La conception sonore, en particulier, est remarquable. D’une part, les cinéastes et monteurs sonores (Christian Marcotte et Claude Beaugrand) tirent profit des défis liés à la cacophonie ambiante, lors de la prise de son originale, en postsynchronisant de façon souvent loufoque les dialogues documentaires (on se demande parfois, s’il ne s’agit pas d’effets en « trompe-l’oreille »). D’autre part, l’utilisation de sons inusités qui contrastent avec l’image s’avère très créative. La musique, enfin, joue un rôle de premier plan et on entend dans le film les prémisses de ce qui deviendra Le trésor de la langue, de René Lussier, auquel Bélanger consacrera un autre film, Le trésor archange (1996).
Richard Brouillette
Cinéaste, producteur, éleveur de poules et comptable
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