Naked Reality

Naked Reality est une œuvre qui représente bien le mélange unique d’Afrofuturisme et d’histoires coloniales africaines peuplant la filmographie de Jean-Pierre Bekolo, avec ici l’élément supplémentaire de la science-fiction et de l’émancipation des corps noirs. Naked Reality témoigne du travail de Bekolo, cinéaste dont les films ne se limitent pas aux binarités de la fiction ou du documentaire. Le film évite les pièges de la fiction narrative conventionnelle et utilise ses sons et ses images, y compris des visuels monochromatiques, pour se libérer des conventions et créer une œuvre d’art unique, fidèle au cinéaste lui-même – une œuvre dans laquelle il embrasse l’expérimentation, la narration non-linéaire et se concentre sur l’avenir des Africain·e·s tout en reconnaissant que, sans une reconnaissance adéquate de notre passé, il est impossible d’envisager notre avenir.

Dans le style des autres films de Jean-Pierre Bekolo, le film met de l'avant une protagoniste féminine par le biais de laquelle l’histoire est narrée. L’utilisation intentionnelle par Bekolo de personnages féminins africains est une caractéristique commune de son œuvre, plusieurs le qualifiant de cinéaste féministe africain. Dans Naked Reality, situé 150 ans dans le futur, nous voyons la protagoniste, Wanita, coincée entre ses deux identités : celle qu'elle est et celle qu'elle souhaiterait être. Un conflit qui la mènera à un questionnement encore plus grand : quelle est sa véritable mission selon les plans de ses ancêtres africain·e·s et quelle est son ancienne vie telle qu'elle se la représente? Pour recevoir sa mission de la part de ses ancêtres, elle doit s’assurer que la personne qu’elle est est également celle qu’elle aspire à être.

Dans un avenir où la Bad Luck (malchance) est le principal problème médical pouvant être attribué à l’ascendance personnelle, le lien entre le futur et le passé est immédiatement établi. En tant que cinéaste afrofuturiste, Bekolo a toujours été intentionnel dans la représentation des liens entre le futur et le passé. Étant donné le passé colonial de l’Afrique, la lutte de Wanita avec son identité, même 150 ans dans le futur, montre que les blessures causées par le colonialisme et la traite des esclaves sont non seulement trop profondes pour avoir été guéries dans le présent, mais qu'il est illusoire de penser que ces dommages pourraient disparaître même en se projetant dans le futur.

Badewa Ajibade
Programmateur invité