Vu(s) pas vu(es)

La revue Hors champ vient de faire paraître un numéro spécial sur le travail de la cinéaste Mireille Dansereau dans la foulée de la restauration et de l’édition récentes de son film La vie rêvée (1972). Ce dossier sur les films de la cinéaste vise à ouvrir la portée d’un film phare longtemps inaccessible et se penche plus largement sur les segments polymorphes de la filmographie de la cinéaste. Circulant jusqu’en 2022 à la manière d’un secret bien gardé parmi les cinéphiles et une poignée d’universitaires attentives à l’histoire du cinéma féminin et féministe, La vie rêvée, premier long métrage de la cinéaste et en l’occurrence premier long métrage de fiction réalisé par une femme au Québec (et premier long métrage financé par l’ACPAV), établit une critique du patriarcat par le rire et l’imaginaire, à travers un récit d’amitié qui s’amuse à mettre en pièces les matrices conjugales.

La remise en circulation de ce film lumineux pose ainsi des questions d’ordre historiographique, en premier lieu au regard de l’inclusivité des femmes dans l’écriture de l’histoire du cinéma et davantage invite à ce que l’on réfléchisse aux effets de rupture et de transmission entre le féminisme de la deuxième vague et les féminismes contemporains. Selon un ensemble de perspectives réflexives et créatives, les contributions rassemblées dans ce dossier mettent en valeur les motifs activés par la cinéaste tout au long de sa filmographie et dessinent un nouvel horizon de réception, attentif à l’intergénérationnalité des féminismes. Il tente par la pensée et les images de redonner corps à une œuvre contrastée et en constante adaptation aux temps qui la traversent.

Invitées à programmer pour Tënk un corpus d’œuvres documentaires de la cinéaste, nous avons opté pour quatre films qui forment des segments dans une œuvre polymorphe et qui nous semblent correspondre à des moments-clés du parcours de la cinéaste. Ces choix nous semblaient de surcroît profiler une certaine trajectoire d’idées et d’angles en rapport avec ce qui s’avère l’une des préoccupations les plus vives de la cinéaste : une perpétuelle sortie de forclusion qui va de pair avec des façons de mettre en scène la parole et de l’arrimer aux images. Dans Moi, un jour... (1967), premier court métrage de Mireille Dansereau, nous cheminons avec une jeune fille qui cherche à rompre avec ses origines, lové·e·s au sein de son monologue intérieur. Dans J’me marie, j’me marie pas (1973), film qui succède à La vie rêvée, nous fréquentons des femmes qui discourent avec une grande liberté au sujet de leur choix de vie, durant les premières années du féminisme radical. Réalisé en 1992, Entre elle et moi nous plonge cette fois dans la parole endeuillée à la suite de la mort de la mère, alors que bougent sous nos yeux les images croisées qui témoignent des parcours artistiques de Madeleine et Mireille Dansereau. Enfin, avec Les marchés de Londres, la parole se fait dialogique. Un homme et une femme échangent et leurs timbres se surimposent, anachroniques, fantomatiques, à des images filmées des décennies plus tôt d’un Londres qui n’existe plus. Quatre films comme quatre cas de figure qui proposent des agencements distincts entre voix et image, où la texture intime allie force et vulnérabilité.

Maude Trottier et Rachel Samson
Co-directrices du numéro de Hors champ

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